EN PLEINE TEMPETE ATLANTIQUE
- freddyascup
- 2 déc. 2024
- 2 min de lecture
Déroutement sur La Corogne en Espagne.
Débarqué le matin même à Rouen, du « Gâtinais » qui venait en réparations après un violent abordage en Tamise avec le paquebot « City of Hull » j’embarquais l’après-midi sur le « Toulon » en partance pour New York. Ce cargo chargeait depuis deux jours d’énormes rouleaux de tôles d’acier destinés à l’industrie automobile américaine.

Ces tôles fabriquées par la sidérurgie lorraine (exportatrice à l’époque) ployées et assemblées en rouleaux de plusieurs tonnes cerclés devaient être soigneusement saisis par câbles d’acier et ridoirs pour les empêcher de rouler avec les mouvements du navire. En fin de journée de ce samedi de Pâques, il restait une quinzaine de rouleaux sur le quai. S’ils n’étaient pas chargés ce soir, nous serions retardés de deux jours, le port étant fermé le dimanche et le lundi de Pâques. C’était impensable pour l’armateur…Après tractations avec les dockers, il fut convenu de les charger rapidement dans le faux-pont pour permettre au cargo d’appareiller le soir même, les matelots devant les arrimer au mieux. La météo était bonne et la sortie de la Manche jusqu’à Ouessant s’effectua sans problème. Le Toulon filait ses dix nœuds depuis deux jours quand il rencontra une forte houle de Noroit annonciatrice d’un coup de vent. La mer force 7, forcit rapidement force 8 puis 9 la nuit venue. Le navire se mit à rouler bord sur bord et la cargaison hâtivement chargée rompit ses liens et se désarrima. Les rouleaux libérés formaient un énorme bélier de plus de dix tonnes qui frappait la coque menaçant de l’enfoncer à chaque coup de roulis. Le vacarme était insoutenable dans l’obscurité de la nuit.

Le choc des déferlantes qui submergeaient le pont et le bruit des rouleaux d’acier qui frappaient la coque était assourdissant. La situation devenait angoissante et tout l’équipage descendit dans la cale avec des lampes électriques pour prêter main forte aux matelots qui depuis plus d’une heure tentaient vainement d’immobiliser ces monstrueux rouleaux qui se précipitaient sur eux risquant de les écraser. La fatigue et la peur se lisait sur les visages à la lueur blafarde des lampes électriques. Plusieurs rouleaux avaient explosé leurs cerclages et les lourdes tôles libérées glissaient à plat de bâbord à tribord menaçant à tout moment de trancher les pieds et les jambes qui se trouvaient sur leur trajectoire. L’accident humain était imminent et une dangereuse voie d’eau risquait de se produire si la coque était enfoncée. Le Commandant réunit les «principaux de l’équipage» procédure très rarement utilisée. Il fallait décider de la poursuite de la traversée ou du déroutement du navire sur La Corogne. Vu la gravité de la situation c’est la deuxième option qui fut choisie. En fuite nous roulions moins. L’effrayant vacarme s’était tût. Vingt heures plus tard nous étions au port, enfin en sécurité ! Il nous fallut près d’une semaine, sans grues, ni dockers pour réparer les dégâts et reprendre la mer pour terminer cette pénible traversée de l’Atlantique sans autre problème. J’avais à peine16 ans, et devais par la suite parcourir plus de 70 tours du monde sur 50 navires.
Claude B.
Capitaine de la Marine Marchande, ancien navigateur au long cours.
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